La construction d’une nouvelle autoroute à proximité de votre domicile entraîne une baisse significative de la valeur de votre bien immobilier ? Des travaux de voirie bloquent ou limitent l’accès à votre commerce, ce qui provoque une diminution substantielle de votre chiffre d’affaires ? Vous avez été victime d’une chute à cause d’un trottoir déformé et non signalé ?
Ces situations illustrent quelques-uns des nombreux dommages que peuvent causer les
ouvrages publics au quotidien. Mais concrètement, quels sont vos droits en tant que victime ? L’administration est-elle toujours responsable ? Quelles démarches entreprendre pour obtenir réparation ?
Cet article vise à éclairer les particuliers et les professionnels sur les mécanismes juridiques encadrant la responsabilité des ouvrages publics. Nous explorerons les différents types de dommages, les régimes de responsabilité applicables selon la qualité de la victime (usager ou tiers), ainsi que les conditions nécessaires pour engager la responsabilité de l’administration.
Qu’est-ce qu’un ouvrage public ?
L’ouvrage public est un bien immobilier qui a été aménagé et directement affecté à un service public ou à l’usage du public. Cette définition, posée progressivement par la jurisprudence administrative, met en avant trois critères essentiels :
- L’ouvrage doit être un bien immobilier, comme un pont, une route ou un bâtiment administratif.
- L’ouvrage doit résulter d’un aménagement, c’est-à-dire d’une intervention humaine qui le prépare à sa destination. Par exemple, une digue construite pour protéger une zone côtière ou un réseau d’égouts aménagé pour l’assainissement urbain.
- L’ouvrage doit être affecté soit à l’usage direct du public, soit à un service public. Ainsi, une école publique est affectée au service public de l’éducation, et un parc municipal est affecté à l’usage direct du public.
Ces critères ont été précisés par le Conseil d’État dans un avis du 29 avril 2010 qui indique que : « La qualification d’ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d’ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d’un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s’ils appartiennent à une personne privée chargée de l’exécution de ce service public » (CE, 29 avril 2010, M. et Mme Beligaud, n° 323179).
Ainsi, un ouvrage public peut appartenir à une personne privée, à condition qu’il soit
directement affecté à un service public.
Typologie des différents dommages liés à un ouvrage public
Les dommages liés à un ouvrage public peuvent être de différentes sortes : permanents, temporaires ou accidentels.
Les dommages permanents
Ils résultent de l’existence même de l’ouvrage public, et ne sont pas liés à un événement ponctuel particulier. Ces dommages affectent durablement les tiers.
Parmi les dommages permanents résultant des ouvrages publics, on retrouve par exemple :
- Une dépréciation immobilière due à une autoroute : la construction d’une autoroute à proximité immédiate d’une propriété peut entraîner une perte significative de sa valeur vénale.
- Des nuisances sonores et/ou olfactives causées par un équipement public : l’installation d’une station d’épuration engendre des nuisances olfactives et sonores persistantes, qui peuvent causer un dommage permanent. Si ces nuisances excèdent les inconvénients normaux du voisinage, la responsabilité sans faute de l’administration peut être engagée.
- Une perte d’ensoleillement : la construction d’un viaduc ou d’un bâtiment administratif peut entraîner une perte de luminosité pour les habitations voisines. Si cette perte est importante et affecte l’usage normal du bien, elle peut constituer un dommage permanent.
Les dommages temporaires
Les dommages temporaires sont liés à l’exécution des travaux publics, phase au cours de laquelle l’ouvrage public est construit. Bien que limités dans le temps, ils peuvent être à l’origine de préjudices significatifs pour les tiers.
Voici quelques exemples fréquents en contentieux de la responsabilité administrative :
- Une obstruction d’accès à un commerce
Des travaux de voirie bloquant l’accès à un magasin pendant plusieurs semaines peuvent entraîner une baisse de chiffre d’affaires. Si le préjudice est anormal et spécial, une indemnisation peut être accordée.
- Des nuisances causées par un chantier
Les riverains d’un chantier peuvent subir des nuisances sonores, des vibrations ou des poussières excessives pendant la durée des travaux. Si ces nuisances excèdent les inconvénients normaux du voisinage, elles peuvent être considérées comme des dommages temporaires indemnisables.
3. Les dommages accidentels
Les dommages accidentels résultent d’événements imprévus liés à l’ouvrage public ou à son fonctionnement. Ils peuvent affecter aussi bien les usagers que les tiers.
Quels sont les cas de dommages accidentels ?
- L’effondrement d’un mur de soutènement : l’effondrement soudain d’un mur de soutènement appartenant à une collectivité, causant des dommages à une propriété voisine, constitue un dommage accidentel. La responsabilité de l’administration peut être engagée si un défaut d’entretien est constaté.
- La chute d’un arbre sur la voie publique : la chute d’un arbre mal entretenu sur la chaussée, provoquant un accident de la circulation, peut engager la responsabilité de la collectivité.
- Un accident causé par un défaut de signalisation : l’absence de signalisation adéquate constitue un défaut d’entretien normal de nature à engager la responsabilité de l’administration.
- Un piéton qui chute en raison d’un affaissement non signalé de la chaussée : la responsabilité de la commune peut être engagée pour défaut d’entretien normal de la voie publique.
Si vous êtes un tiers vis-à-vis de l’ouvrage : l’administration est responsable sans faute
Qu’est-ce qu’un tiers à l’ouvrage ?
Un tiers à l’ouvrage est une personne étrangère à l’utilisation ou à la gestion de l’ouvrage public. Il ne bénéficie d’aucun avantage direct de l’ouvrage et n’intervient pas dans sa construction ou son exploitation. Il est celui qui n’utilise pas l’ouvrage au moment où il subit un préjudice du fait de cet ouvrage. Il peut s’agir d’un riverain, d’un commerçant voisin ou de toute personne affectée par l’existence ou le fonctionnement de l’ouvrage sans en être usager.
Quelques exemples de tiers à l’ouvrage :
- Un piéton blessé par un panneau électoral arraché par le vent est considéré comme usager de la voie publique, mais tiers à l’égard du panneau électoral, qui constitue un ouvrage public (CAA Lyon, 10 avril 2014, n° 12LY20166).
- Un automobiliste dont le véhicule a été endommagé par la chute de neige et de glace provenant du toit d’un bureau de poste est considéré comme usager de la voie publique, mais tiers à l’égard du bureau de poste, qui constitue un ouvrage public (CE, 4 février 1972, Ministre des Postes et des Télécommunications c. Trifaro, n° 82473).
- Un habitant dont la maison subit des fissures en raison des vibrations causées par des travaux de voirie.
- Un commerçant dont l’accès au magasin est entravé par un chantier, entraînant une perte de clientèle.
Quelles sont les conditions d’engagement de la responsabilité sans faute ?
Pour les dommages liés à l’ouvrage public et causés aux tiers, l’administration est responsable même sans faute.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela veut dire que la victime n’a pas à apporter la preuve d’une faute commise par l’administration pour obtenir réparation de son préjudice. Elle doit néanmoins apporter la preuve d’un lien de causalité entre son préjudice et l’ouvrage ou le travail public.
La responsabilité sans faute de l’administration peut être engagée lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :
Un préjudice anormal : le dommage subi dépasse les inconvénients normaux que les tiers doivent supporter dans l’intérêt général.
Des travaux de voirie dans une rue ne sont généralement pas considérés comme anormaux s’ils se déroulent dans des conditions habituelles et dans un délai raisonnable pour les riverains.
Un préjudice spécial : le dommage affecte une personne ou un groupe restreint de personnes, et non la collectivité dans son ensemble.
Pour reprendre notre exemple des travaux de voirie, la spécialité peut être démontrée en ce que les travaux n’affectent que les riverains immédiats des travaux.
Le cas des ouvrages exceptionnellement dangereux
Certains ouvrages publics, par leur nature, présentent un risque particulier pour les tiers.
Cette notion d’ouvrage exceptionnellement dangereux a été consacrée par le Conseil d’État en 1973 (CE, 6 juillet 1973, Dalleau, n° 82406). Dans cette affaire, une route construite au pied d’une falaise instable à La Réunion, sujette à des éboulements constants malgré les mesures de sécurité, a été reconnue comme présentant un danger exceptionnel.
Dans ces cas, la responsabilité sans faute de l’administration peut être engagée en raison du risque spécial créé par l’ouvrage.
Quelques exemples d’ouvrages exceptionnellement dangereux :
- Un ouvrage exposé à des risques naturels constants
Un ouvrage situé dans une zone à risque sismique ou volcanique, où les phénomènes naturels présentent un danger permanent pour les usagers, peut être qualifié d’exceptionnellement dangereux si les mesures de sécurité ne suffisent pas à éliminer le risque.
- Une infrastructure en zone de glissement de terrain
Une route ou un pont construit dans une zone connue pour ses glissements de terrain fréquents, malgré des travaux de stabilisation, peuvent être considérés comme exceptionnellement dangereux si le danger persiste.
- Une installation industrielle proche des habitations
Une usine manipulant des substances hautement inflammables ou toxiques, située à proximité d’habitations, peut être qualifiée d’ouvrage exceptionnellement dangereux si elle présente un risque constant pour les riverains.
- Route ou tunnel exposé aux avalanches
Un tunnel ou une route de montagne régulièrement exposé aux avalanches, malgré des dispositifs de protection, peut être reconnu comme exceptionnellement dangereux si le risque demeure élevé.
L’administration peut-elle s’exonérer de sa responsabilité ?
Oui. L’administration peut s’exonérer de sa responsabilité sans faute en démontrant :
- Un cas de force majeure : un événement imprévisible, irrésistible et extérieur ayant causé le dommage.
- Une faute de la victime : un comportement imprudent ou négligent de la part de la victime ayant contribué au dommage.
Si vous êtes un usager de l’ouvrage : l’administration est responsable pour défaut d’entretien normal
Qu’est-ce qu’un usager de l’ouvrage ?
L’usager est la personne qui utilise l’ouvrage public conformément à sa destination. Il bénéficie directement de l’ouvrage, sans y être étranger ni en être gestionnaire.
Cela concerne par exemple :
- Un automobiliste qui circule sur une route communale, départementale ou nationale.
- Un piéton qui emprunte un trottoir municipal.
- Un cycliste qui utilise une piste cyclable aménagée.
- Un enfant blessé dans une aire de jeu d’un parc municipal.
Si le dommage est causé à un usager, il faudra alors apporter la preuve d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage.
Comment définir un défaut d’entretien normal de l’ouvrage ?
L’administration est tenue d’assurer un entretien normal des ouvrages publics. Un défaut d’entretien est caractérisé lorsque l’ouvrage présente une dégradation ou une anomalie susceptible de causer un dommage aux usagers.
Par exemple :
- Un trottoir déformé qui cause la chute d’un piéton.
- Un nid-de-poule non réparé qui provoque un accident de voiture.
- Une barrière de sécurité défectueuse sur un pont, entraînant un risque pour les véhicules.
Défaut d’entretien normal : la faute de l’administration est présumée
La jurisprudence administrative considère que l’administration est présumée responsable en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public.
La charge de la preuve est donc renversée.
Ce n’est pas à la victime d’apporter la preuve du défaut d’entretien, mais à l’administration de prouver qu’elle a correctement rempli ses obligations d’entretien, afin de s’exonérer éventuellement de sa responsabilité.
Comment l’administration peut-elle s’exonérer de sa responsabilité ?
L’administration peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant :
- Une absence de défaut d’entretien : elle doit prouver que l’ouvrage était en bon état au moment du dommage.
- Une faute de la victime : si le comportement de la victime a contribué au dommage, la responsabilité de l’administration peut être atténuée ou écartée.
- Un cas de force majeure : un événement imprévisible, irrésistible et extérieur exonère l’administration de sa responsabilité.
Conclusion : consultez un avocat spécialisé en droit public
Les dommages causés par les ouvrages publics peuvent entraîner des conséquences importantes sur votre quotidien ou votre activité professionnelle. Que vous soyez un usager ou un tiers, il est essentiel de connaître vos droits et les recours possibles pour être indemnisé.
Le cabinet PY Conseil, spécialisé en droit public et en responsabilité administrative, vous accompagne dans l’analyse de votre situation, la constitution de votre dossier et la défense de vos intérêts.
N’hésitez pas à prendre rendez-vous pour bénéficier d’une expertise adaptée à votre cas.