Une fuite d’eau survenue sur votre propriété ou dans votre lotissement peut rapidement devenir un casse-tête. Qui doit réparer ? Qui est responsable des dommages ? Que faire si le règlement du service des eaux se décharge de sa responsabilité ?
Dans le cas d’une fuite d’eau sur le réseau, la question de la répartition des responsabilités entre la collectivité et le propriétaire privé est souvent source de confusion. Spécialement si la canalisation se situe dans un lotissement dont les voies sont privées, c’est-à-dire hors de la voirie publique.
Les infrastructures de distribution d’eau potable sont des ouvrages publics, ce qui entraîne une responsabilité des collectivités et des services des eux.
Pourtant, certains règlements de services des eaux tentent de transférer cette charge aux propriétaires, ce qui soulève la question du caractère abusif de ces clauses.
Décryptons dans cet article les règles applicables et les points à surveiller pour les propriétaires privés confrontés à ces problématiques.
Les ouvrages des réseaux de distribution d’eau potable sont des ouvrages publics
Pour rappel : qu’est-ce qu’un ouvrage public ?
En droit administratif, l’ouvrage public est défini comme un bien immobilier, résultant d’un aménagement et qui est directement affecté à un service public ou à l’usage du public. Cette définition, posée progressivement par la jurisprudence, met en avant trois critères essentiels :
- L’ouvrage doit être un bien immobilier, comme un pont, une route ou un bâtiment administratif.
- L’ouvrage doit résulter d’un aménagement, c’est-à-dire d’une intervention humaine qui le prépare à sa destination. Par exemple, une digue construite pour protéger une zone côtière ou un réseau d’égouts aménagé pour l’assainissement urbain.
- L’ouvrage doit être affecté soit à l’usage direct du public, soit à un service public. Ainsi, une école publique est affectée au service public de l’éducation, et un parc municipal est affecté à l’usage direct du public.
Ces critères ont été précisés par le Conseil d’État dans un avis du 29 avril 2010, qui indique que :
« La qualification d’ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d’ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d’un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s’ils appartiennent à une personne privée chargée de l’exécution de ce service public« .
Ainsi, un ouvrage public peut appartenir à une personne privée, à condition qu’il soit directement affecté à un service public.
Les réseaux de distribution d’eau potable sont-ils des ouvrages publics ?
Si l’on suit notre définition, les ouvrages d’adduction d’eau potable doivent être regardés comme des ouvrages publics.
En effet :
- Toutes les infrastructures nécessaires à l’adduction d’eau sont des biens immobiliers, comme des canalisations, des stations de pompage et des réservoirs, qui sont fixés au sol de manière permanente.
- Elles résultent d’aménagements spécialement réalisés par l’homme, nécessitant des travaux de construction et d’installation pour capter, traiter et distribuer l’eau potable.
- Ces ouvrages sont directement affectés à un service public essentiel, celui de la distribution d’eau potable, visant à fournir une eau saine et accessible à l’ensemble de la population.
Mais est-ce aussi le cas hors du domaine public ?
Que se passe-t-il lorsque les voies d’un lotissement sont privées ?
Il peut arriver que les voies d’un lotissement ne soient pas intégrées dans la voirie publique.
Dans ce cas, la collectivité peut accepter de raccorder les canalisations intérieures du lotissement au réseau public d’adduction d’eau potable.
Dans cette hypothèse, les canalisations du lotissement, même situées sur des propriétés privées et ne constituant pas un branchement collectif, peuvent tout de même être considérées comme des ouvrages publics de distribution d’eau potable.
Cette qualification repose sur leur intégration fonctionnelle et physique au réseau public.
Les branchements individuels sont des accessoires indispensables du réseau public
Lorsqu’une collectivité raccorde les canalisations internes d’un lotissement à son réseau de distribution d’eau potable, sans exiger de branchement collectif unique à l’entrée du lotissement, mais en permettant des branchements individuels pour chaque usager, ces canalisations deviennent essentielles au fonctionnement du service public de l’eau.
Elles sont alors considérées comme des accessoires indispensables du réseau public, directement affectées à la mission de distribution d’eau potable.
Ainsi, même implantées sur des terrains privés, ces canalisations, par leur rôle essentiel dans la desserte en eau des résidents du lotissement, acquièrent le statut d’ouvrages publics.
La collectivité en assume donc la responsabilité, y compris en cas de dommages causés à des tiers.
Le maître de l’ouvrage public de distribution d’eau potable en est responsable, même sans faute
Les infrastructures de distribution d’eau potable, comme les canalisations et les réservoirs, sont considérées comme des ouvrages publics.
Cela signifie que la collectivité maître de l’ouvrage est responsable des dommages que ces infrastructures peuvent causer aux tiers, que ce soit en raison de leur existence ou de leur fonctionnement.
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Pas de faute à prouver dans le cas d’un préjudice
Cette responsabilité est dite « sans faute« , ce qui signifie que la collectivité peut être tenue de réparer les préjudices subis par les tiers sans que ces derniers aient à prouver une faute de sa part.
Toutefois, la collectivité peut s’exonérer de cette responsabilité en démontrant que le dommage résulte d’une faute de la victime ou d’un cas de force majeure.
Une protection des tiers contre les risques
Cette responsabilité sans faute vise à protéger les tiers contre les risques liés aux ouvrages publics, en leur offrant une voie de recours efficace en cas de préjudice.
Ainsi, les collectivités doivent veiller à l’entretien et au bon fonctionnement de leurs infrastructures pour prévenir de tels incidents et limiter leur responsabilité.
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Le compteur d’eau : frontière entre l’ouvrage public et les équipements privés
Ouvrage public avant compteur, équipement privé après compteur
Si l’on souhaite établir une frontière juridique précise pour le partage des responsabilités dans le cas d’une fuite, c’est à l’emplacement du compteur d’eau qu’il faut s’intéresser.
L’article L. 152-1 du Code rural et de la pêche maritime relatif aux servitudes précise qu’un ouvrage public peut prendre place au sein d’un terrain privé :
« Il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d’établissement de canalisations d’eau potable ou d’évacuation d’eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d’établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. »
Depuis 1960, le Conseil d’État considère de manière constante que le compteur fait office de frontière juridique entre ouvrage public et équipement propre.
Cela signifie que les canalisations situées sur les propriétés privées en amont du compteur sont des ouvrages publics, bien qu’ils appartiennent aux propriétaires privés des immeubles desservis.
Cette solution est régulièrement reprise et confirmée par le juge administratif dans des contextes analogues. Ainsi la Cour d’appel de Chambéry dans un arrêt du 11 avril 2024 cite l’arrêt fondateur de 1960 et rappelle que :
« les canalisations d’adduction en eau potable situées sur les propriétés privées, en amont des compteurs (parfois implantés à l’intérieur des habitations pour des raisons d’ordre climatique), sont des ouvrages publics compteurs inclus ».
Une séparation valable pour tous les réseaux
Cette frontière du compteur se retrouve pour tous les autres réseaux, notamment de gaz ou d’électricité.
La Cour d’appel de Poitiers a ainsi jugé en 2022 que « le distributeur GRDF avait la responsabilité de l’exploitation et de la maintenance du branchement jusqu’à la sortie aval du compteur » dès lors qu’« une canalisation telle que celle qui desservait la maison de M. et Mme X a la qualité d’ouvrage public puisque cette qualité s’étend également aux branchements particuliers traversant ou desservant un domaine privé, cela jusqu’au compteur ».
Cet élément est très important, car il répartit clairement les responsabilités entre le maître de l’ouvrage public et les propriétaires privés.
Le service de distribution de l’eau est donc responsable jusqu’au compteur
La frontière du compteur signifie donc que le service de distribution de l’eau est responsable jusqu’au compteur des canalisations et des fuites.
Cela, y compris si le compteur est situé sur une propriété privée ou sous une voie qui n’est pas rattachée à la voirie publique.
En résumé, comment la responsabilité est-elle répartie ?
La répartition de la responsabilité est aujourd’hui clairement délimitée :
- les canalisations situées sous la voie publique sont de la responsabilité du service des eaux ;
- les canalisations situées sur les propriétés privées mais en amont du compteur, compteur inclus, sont des ouvrages publics même s’ils appartiennent aux propriétés privées et ils relèvent donc de la responsabilité du service des eaux ;
- les canalisations situées à l’intérieur des propriétés privées et au-delà des compteurs sont de la responsabilité des propriétaires privés.
Cela étant posé, il peut arriver que le règlement du service des eaux se décharge de sa responsabilité.
Que faire dans ce cas ?
Les règlements des services de distribution d’eau peuvent contenir des clauses abusives
Il peut arriver que les règlements des services de distribution de l’eau potable fassent peser sur les propriétaires la responsabilité des conduites et des branchements situés en amont du compteur d’eau, mais hors du domaine public.
Le plus souvent cela correspond à des voies de lotissement qui sont des voies privées, non intégrées à la voirie publique.
Ce type de clause dans les règlements est une clause abusive, que le juge administratif peut sanctionner.
Le juge administratif sanctionne les clauses abusives dans les règlements des services des eaux
En effet, depuis 2001, le Conseil d’Etat accepte de contrôler le règlement d’un service de distribution d’eau au regard de l’interdiction des clauses abusives, dont le régime est fixé par le Code de la consommation.
Pour rappel, les clauses abusives sont ainsi définies par le Code de la consommation :
- L’article L. 212-1 dispose que « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
- L’article L. 241-1 poursuit : « les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d’ordre public ».
Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur est une clause abusive
L’article R. 212-1 du Code de la consommation énonce que « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives […], les clauses ayant pour objet ou pour effet de : […] 6° Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ».
C’est précisément en ce sens que les clauses de certains règlements des services des eaux peuvent être considérées comme abusives.
En faisant peser sur les propriétaires privés la responsabilité des ouvrages du réseau situés hors du domaine public, mais en amont du compteur d’eau, les services des eaux se déchargent d’une responsabilité qui leur incombe.
En effet, les ouvrages en amont du compteur d’eau étant des ouvrages publics, ils sont sous la responsabilité du service des eaux qui en a la gestion.
Par conséquent, c’est au service des eaux de réparer les préjudices subis du fait des ouvrages situés en amont du compteur, quand bien même ces derniers seraient hors du domaine public.
Un règlement de service des eaux qui poserait le contraire aurait pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ».
Il s’agirait donc d’une clause abusive au sens du droit de la consommation, et le juge administratif pourrait l’annuler.
Cet état du droit est largement rappelé par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, qui a édité en octobre 2019 un Guide pédagogique relatif aux règlements de service d’eau. Elle rappelle explicitement que :
« En ce qui concerne les dommages qui résulteraient du fonctionnement de l’installation située en amont du compteur mais en partie privative, la clause limitant la responsabilité du service d’eau à une faute de sa part serait illicite (CE 11 juillet 2001 n° 221458). En effet, une telle clause pourrait conduire à faire supporter à un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables, sans pour autant qu’il lui soit possible d’établir une faute du service d’eau exploitant ces canalisations » (Guide pédagogique relatif aux règlement du service d’eau, octobre 2019, page 46).
Vous pouvez consulter le guide complet en cliquant ici
Conclusion : les points que vous devez surveiller en cas de fuites d’eau
Identifiez la fuite. En cas de fuite d’eau, il est essentiel de connaître les limites exactes de responsabilité. Pour ce faire, il faudra identifier précisément l’endroit de la fuite.
Est-elle avant compteur ? Avant le compteur, les canalisations relèvent du service public de l’eau, y compris lorsqu’elles se situent sur un terrain privé. Au-delà du compteur, c’est au propriétaire d’assurer l’entretien et les réparations.
Consultez le règlement du service des eaux. Soyez particulièrement vigilants face aux règlements de service des eaux qui peuvent faire peser sur vous une responsabilité avant compteur : une clause qui vous ferait porter la responsabilité d’un ouvrage public peut être jugée abusive et annulée par le juge administratif.
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